le 19/10/2008 @ 17:53 par Ghitti
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Lorsque le fonctionnement de la justice civile met sous le joug de dispositifs qui les contraignent les relations les plus intimes, on ne peut s'étonner qu'il résulte de cette servitude une déprime larvée. Or c'est le rôle de la politique de travailler sur le moral de la nation, non pas par une fallacieuse fuite en avant dans le consumérisme, mais en proposant des réponses législatives et institutionnelles adaptées. La plupart des magistrats de nos tribunaux et cours font leur métier sans avoir conscience de la fonction politique qu'ils ont. Pensant appliquer le droit et substituant une conception judiciaire et factice de l'intérêt de l'enfant au bien réel des enfants et de leurs parents, ils semblent ne pas voir que la fonction qu'ils exercent est de mettre en place un système d'oppression. On ira même jusqu'à tordre la psychanalyse pour qu'elle justifie le droit, en particulier l'éviction des pères, en construisant la thèse tendancieuse d'une fonction paternelle qui s'exercerait d'autant mieux que le père est absent ! En France plus qu'ailleurs, le troisième pouvoir, si indépendant soit-il, est et demeure un pouvoir régalien de l'Etat : c'est le pouvoir de l'interprétation exclusive des lois contenues dans les codes issus du pouvoir législatif. C'est ce qu'on peut appeler le pouvoir herméneutique. Un pouvoir, par définition, est volonté de décider et d'imposer, en l'occurrence d'imposer une interprétation. Toute interprétation est commandée par une intention. Dans la dynamique complexe d'un conflit familial, faire du judiciaire le seul mode de régulation possible revient à y introduire une logique de pouvoir qui avive ce conflit. Parce que l'institution judiciaire est d'abord un pouvoir, celui d'imposer sa décision aux différents membres d'une famille, elle ne peut concevoir de solution que sous forme de distribution inégale des pouvoirs.
C'est ainsi que dans le contentieux le plus fréquent entre les parents sur le lieu de résidence des enfants, attribuer cette résidence à l'un revient non pas tant à définir un lieu de vie qu'à octroyer à l'un une puissance, et même une toute-puissance, sur les enfants et aussi sur l'autre parent. Le partage de l'autorité parentale tel qu'il est inscrit dans la loi est constamment contredit par une logique de pouvoir propre à l'institution. Entre la loi qui affirme, à peu de frais, la coparentalité, l'équilibre entre père et mère, et l'institution judiciaire, qui ne raisonne qu'en terme de domination, c'est toujours la seconde qui l'emporte. Le problème de ceux qui réfléchissent à ces questions, c'est qu'ils se contentent, non sans hypocrisie, de l'affirmation des principes sans regarder les situations concrètes, qui seules sont réelles. Le parent chez qui l'enfant habite peut, de fait, retenir toutes les informations, ne jamais associer l'autre aux choix éducatifs, déménager où il veut pour rendre les droits de visite impraticables, retenir les enfants au moment de l'exercice de ces droits de visite, profiter du temps qu'il passe avec les enfants pour les installer tranquillement dans une défiance à l'égard de l'autre parent dans le but de les détourner progressivement d'aller le voir. Il le peut, et il le fait très souvent : c'est ce que montre la réalité. Car c'est une règle bien connue que là où il y a toute-puissance, il y a forcément abus de pouvoir. En principe, une authentique démocratie se propose d'enrayer cette règle ; et pourtant, dans les séparations, le seul « mode d'emploi » qui circule vraiment chez les parents en conflit (et on le dit assez aux femmes qui veulent divorcer) est celui qui pose que plus on abuse, plus on gagne. En effet, que fait le juge dans de pareilles situations d'abus ? Cherche-t-il à rétablir l'équilibre, comme le voudrait la loi, et à soutenir la coparentalité ? Point du tout. Il déclare, comme l'y incline la jurisprudence, que le conflit est vif, que la médiation familiale n'est pas possible, non plus que la résidence alternée, et qu'on ne peut que réduire les droits du « parent visiteur » ! Est-ce que c'est là appliquer la loi ? Non, c'est la contredire, la détourner, et c'est précisément à cela que se livre le judiciaire. Est-ce réguler un conflit par intervention d'un tiers impartial ? Non, c'est instaurer, contre la loi, contre le droit, une logique de domination, qui est précisément celle de l'institution régalienne et qu'elle tend à reproduire en donnant à un parent tout pouvoir sur les enfants et sur l'autre parent. Est-ce pacifier les relations et aider une famille à sortir de sa crise ? Non, c'est accumuler les rancoeurs, les révoltes et relancer sans fin les procédures ; c'est liquider une famille. La judiciarisation se nourrit d'elle-même. On ne la comprend pas du tout si l'on reste à l'idée d'un tribunal qui est là pour appliquer la loi : le tribunal est là pour mettre en place des procédures au bout desquelles il sera fait exception à la loi générale et ordinaire ! Jean-Marc Ghitti, Professeur agrégé de philosophie. |